Place Poulmarch à Paris. Une immense fresque de dragons s’étale sur le mur. Les couleurs du jour éclaboussent les yeux des passants. Deux petites filles courent vers ce mur. Il fait plein soleil. Leur grand-mère les observe : elle est à quelques pas derrière, un petit sac rose à la main. 123 soleil ! L’aînée frappe le mur de sa main puis se retourne. La petite qui s’est avancée de deux pas s’est figée : la grande n’a rien vu, rien entendu. Elle se retourne à nouveau et frappe le mur, plus vite… Quand elle se retourne pour la troisième fois, la petite est plus proche encore. La grand-mère reste immobile : elle attend la fin du jeu.
Au même moment, sur la berge du canal, la foule se déverse dans un va-et-vient ininterrompu. Une femme consulte son portable en marchant, contournant instinctivement tous les obstacles. Une autre sort à grands pas du collège Louise Michel, portant son cartable sous le bras. Les vélos et les scooters filent vers Bastille.
Le Canal Saint-Martin s’arrête et, sereinement, s’abrite du flot d’images ambiant, profitant de l’ombre des arbres pour vivre un moment à lui, volé à la rumeur urbaine : il se cherche dans la mémoire d’un reflet du ciel. Non loin de là, la place de la République semble calme. Le phénomène est assez rare pour être signalé. La palissade sur laquelle était tagué « Paris, je t’aime » a disparu. Rue Alibert, la Liberté guidant le peuple a été recouverte. Les œuvres emblématiques du quartier, qui avaient ému les riverains au lendemain des attentats de novembre, n’existent plus.
Un, deux, trois, soleil est un jeu d’enfants universel. Il est également appelé Un, deux, trois, piano ou één, twee, drie, piano en Belgique ; Bleu, blanc, rouge au Québec ; Red Light Green Light (feu rouge, feu vert) aux États-Unis ; Un, dos, tres, toca la pared (Un, deux, trois, touche le mur) en Espagne ; だるまーさん が ころんだ – Daruma-san ga Koronda au Japon (La poupée Daruma est tombée), 1, 2, 3, mu tou ren – 木头人 (Un, deux, trois, bonhomme de bois) en Chine… Les joueurs doivent toucher un mur et dire « Soleil ! », sans que le meneur de jeux ne les voie bouger.