Lorsque partir semble la seule solution… Partir parce qu’on le veut. Parce qu’on le peut. Partir pour se construire un autre futur, un autre moi. Partir pour s’échapper, pour marquer un temps d’arrêt, une rupture. Quitter pour fuir. Partir pour dire l’indicible.

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Le récit d'une rupture : Union, désunion

Union, désunion

Le récit d’une rupture.

Un récit sur la lettre U

Publié aux éditions de La Taupe
Route de la villette, 9
B–6880 Orgeo (Belgique)

Éditeur responsable pour la version imprimée :
Véronique Van Mol et Daniel Magnan

Format : 75 / 150 mm. Relié main.
Illustration : Denis Mayeur
D/2003/8540/10

Ce récit se veut une paraphrase d’un récit de couple tiré de l’émission Psy-show (voir ci-dessous). Un couple se présente : Gérard et Dominique. Gérard est impuissant, Dominique souffre d’une paralysie faciale et de lourds handicaps orthopédiques. Avant de se marier, le couple veut résoudre ses difficultés qui se traduisent par une fréquente agressivité mutuelle. Gérard a ces mots terribles : « Ce n’est pas parce que j’ai un problème que je suis incapable de rencontrer d’autres femmes, qui ne sont pas infirmes comme toi ! ». (Commentaires : INA)
L’émission dure une heure. Le public est présent et participe : on lui demandera quel est son avis sur la situation du couple. Ce n’est pas le seul tiers : deux comédiens interviennent également durant deux séquences. Ils représentent à l’écran le mari et la femme dans la version de leur problème que chacun a présenté lors de la préparation de l’émission.
On le voit dans la structure très particulière de ce dispositif télévisuel : tout est construit en double. Aux deux conjoints répondent les deux acteurs, le psychiatre est doublé par le public, les présentateurs sont chacun le double de l’autre…  La structure est donc particulièrement complexe.

L’émission consacrée à Gérard et Dominique peut être visionnée sur le site de L’INA (seulement sur abonnement).

Voilà déjà une heure que j’ai quitté Alex. Je veux dire officiellement quitté. Sans que ce mot « officiellement » signifie vraiment quelque chose pour lui, je pense. À vrai dire, pour moi non plus, si ce n’est que, cette fois, ma décision m’apparaît irréversible. Si ce n’est que c’est bien moi, et moi seule, qui l’ai prise, avec, bizarrement, moins de violence qu’autrefois, moins de cris, moins de larmes…

Partir. C’était la seule solution. Mais pourquoi ce départ serait-il le bon ? Le train a quitté la gare centrale. Il était seize heures.
Je me disais : « Comment ai-je pu vivre si longtemps avec lui ? » Quand je l’ai connu, il avait vingt ans. J’en avais dix-neuf. Question âge, rien à redire : ça collait plutôt bien.
J’en souris encore : il m’a fallu quand même pas mal de temps avant de m’apercevoir que ce beau gosse avait jeté son dévolu sur moi. Je dis « beau gosse », et c’est vrai. L’air décidé, entreprenant, l’air de celui à qui tout réussit. Il disait : « Je suis un homme libre ».
Enfin, je le voyais comme ça et, a priori, je n’avais donc aucune raison valable de le repousser. Sauf que…

Sauf qu’il ne me connaissait pas. Ni moi, ni mon handicap.
Je dois dire à sa décharge que j’ai tout fait pour le lui cacher le plus longtemps possible.
Soit. Il ne me connaissait pas. J’ai une furieuse envie de dire qu’aujourd’hui encore, après vingt ans de vie commune, il ne me connaît toujours pas.
On s’habitue. Voilà. Je le laissai donc m’approcher. Il ne dut pas longtemps me faire la cour. Un jour qu’il m’avait pris la main, il refusa de me la rendre. C’est tout. « Je veux t’épouser », il disait.
Quand je repris mes esprits, je répondis qu’il fallait voir avec mes parents.
Alex s’attendait à cette réponse. Il avait tout prévu : il verrait mes parents dimanche, après la messe. Il les convaincrait. On partirait sur le champ. Sauf que…
Sauf que moi, je n’étais pas vraiment prête.
 Alors pourquoi moi ?
Ma mère à qui je confiai mes inquiétudes me dit : « un homme comme celui-là, ça ne se trouve pas à tous les coins de rue, on n’en rencontre qu’un dans sa vie. Alors, on ne se pose pas la question, et on y va ! »

D’accord, d’accord ! J’y allais.
Mais l’idée me vint quand même d’exposer mes inquiétudes à l’intéressé. Il m’écouta sérieusement. Puis il ajouta que « tout ça était vrai, mais que je ne pouvais quand même pas nier que j’avais du charme. Et que ce n’était pas rien ! »
Voilà, c’était dit : j’avais du charme. Exactement le genre de trucs qu’on dit aux filles qui n’ont rien. 
Je disais : « C’est quoi mon charme ? »
Il répondait « C’est tout à fait indéfinissable ! »
En disant cela, son visage s’illuminait, ses yeux devenaient vifs et malicieux. Et moi, je restais là, convaincue qu’il n’y avait rien de plus à répondre, que cet homme était là à me demander ma main, qu’il allait l’obtenir de mes parents, et qu’on allait partir, que j’allais le suivre Dieu sait où, avec mon charme indéfinissable, et pour un certain temps.

On partit donc avec l’assentiment de mes parents (voire un certain soulagement de la part de mon père) : « Aime-le fort, dit ma mère, il le mérite. »
Alex me trouvait charmante. Bien. A mon tour, je le trouvai « sympa ». Sympa, mais rien de plus.
Autant dire qu’il ne me plaisait pas, même si, de temps à autre… Mais nous avons eu beaucoup de ratés. Oui, beaucoup.
Bon. J’ai vécu avec lui.
« T’as de la chance », il me disait, « t’es plutôt du genre qui n’a rien à dire ».
À ma tête, il voyait bien que j’avais pas l’air de prendre ça pour un compliment. Alors, il me disait : « Ben, oui, c’est une chance. Tu peux pas savoir ce que je me suis ramassé sur la gueule à force d’avoir un avis sur tout ! »
Là, je le croyais. C’était vrai : il arrivait toujours à se mettre plein de gens à dos, à force de faire le malin, le type « qui-sait-tout ». Alors, comme ça, d’accord, j’avais de la chance.
Un jour, il m’avait dit : « Si on allait une fois danser toi et moi ? » Là, j’avais paniqué. Il mettait le doigt dessus. Là, je pourrais plus dissimuler : il le verrait et il ne se contenterait pas de le voir. Non, il le dirait ! À tout le monde ! Et ça serait la fin. Le peu d’amour qu’il avait, pffft…
À part quand je cours ou quand je descends trop vite les escaliers, personne ne pourrait dire qu’il m’a vue boiter. Des années que je me suis entraînée à dissimuler. Mais aller danser, ça, c’était la fin de tout. Alex est de ceux qu’un truc comme ça dérange. Il n’aurait plus vu que ça. Puis, il aurait fallu expliquer comment c’était arrivé. Plutôt mourir !

À Charleroi, il a fallu que je prenne le bus. Papa n’est pas venu me chercher.
J’ai franchi la porte de la maison en pensant à ma mère, qui était morte l’an dernier, et à Papa, quand je l’avais quitté, la dernière fois.
À travers la porte de la cuisine, une voix jeune me parvint. Papa était bien là, assis dans son fauteuil.
Un jeune homme était assis en face de lui. Il s’est retourné à mon entrée. Il s’est levé. 
Papa regardait droit devant lui, fixement.

« Ne vous effrayez pas, dit le jeune homme. Il faudra du temps. D’ailleurs, il y a déjà des progrès. »
Il se retourna vers papa et, projetant les lèvres vers l’avant, l’invita à répéter après lui : « U, u, uuu… ».
Papa resta immobile. Aucun son ne parvint à s’échapper de ses lèvres figées.
« Papa, criai-je alors, pourquoi t’étais pas à la gare ? »
« Papa, tu m’écoutes, oui ? »

À SUIVRE

La psychologie du couple mise en avant à la télévision à partir des années 1983. Au départ d’une émission : Psy-show, sous-titrée La règle du jeu, réalisée par Pascale Breugnot, présentée par Pascale Breugnot, avec la collaboration du psychanalyste Serge Leclaire. Archives de l’INA.